jeudi 3 mai 2007

Religion : Le regard neuf des jeunes


[03 May 2007]
Luby Ramsamy a 18 ans et elle est en Upper VI au collège Maurice Curé. Milène Tagou a également 18 ans et elle vient de terminer son HSC. Zia Nujurally a 20 ans et étudie à l’université de Maurice de même que Viken Vadeevaloo, 22 ans. A l’initiative du Conseil des religions, ils ont participé à un atelier de travail de trois jours sur les différents moyens d’appréhender la question du VIH-Sida à Maurice. L’objectif, entre autres, était de voir comment sur un plan moral et spirituel des jeunes de différentes communautés perçoivent le problème. “A travers des prismes différents, des angles religieux multiples, des perspectives morales diverses, il fallait voir si on pouvait travailler ensemble vers un objectif défini”, explique Luby Ramsamy. Au fil des jours, sinon des heures, la discussion a pris la voie d’un partage. Qui est-on ? Comment établir un dialogue avec l’autre. Comment se débarrasser des stéréotypes ethniques que reproduit la société mauricienne ? “Maurice étant un pays pluriethnique, il est un besoin fondamental de se connaître les uns les autres et de déployer des efforts pour se rapprocher car trop souvent la religion a tendance à créer des divisions”, analyse Milène Tagou. Avant d’aller vers l’autre, il y a aussi ce besoin de se connaître. “Le but du dialogue interreligieux est de préserver cette pluriethnicité”, confirme Zia Nujurally. “L’essence des religions converge vers l’amour et le respect de l’autre. Or souvent, on fait le contraire d’autant plus qu’il y a des gens qui ne s’embarrassent pas d’utiliser la religion à mauvais escient. Il est important que les jeunes s’engagent pour exprimer la possibilité d’une autre voie”, enchaîne Viken Vadeevaloo. Nos quatre jeunes vivent au quotidien l’interculturel. Sauf que des conceptualisations sous-jacentes surplombent la chance d’un réel échange. De manière implicite, la société a mis en place ses grilles réductrices. Enfermant chacun d’entre nous et de manière inconsciente dans des ghettos culturels. “Nous côtoyons des gens de différentes cultures mais nous avons besoin d’un dialogue interreligieux pour ne plus avoir de préjugés. On a parfois tendance à juger selon ce qu’on croit être la réalité. Or, cette réalité nous est souvent suggérée. Pendant les trois jours de l’atelier de travail, on a pu parler de religion ouvertement comme on ne l’avait jamais fait auparavant et comme on ne le fait jamais à l’école”, explique Luby Ramsamy. Ces jeunes ont découvert les réalités et la beauté de l’autre aussi bien que le véritable sens de l’altérité. “Je ne savais pas que dans l’essence toutes les religions sont monothéistes et qu’on pouvait aborder la question de religions d’un point de vue neutre. Au fond, tous les textes nous portent vers la même chose”, lâche Luby Ramsamy. Si la connaissance est souvent théorique, le partage, lui, ramène vers le concret. C’est le message que veut faire passer la jeune fille. “On ne peut plus s’enfermer dans des croyances reçues. Le dialogue interreligieux m’a donné l’envie d’aider les gens peu importe leur appartenance religieuse.” Au-delà des discours, il y a le vécu. Et ce vécu ne peut s’améliorer si la société ne se donne pas les moyens d’une introspection et l’ambition d’un projet interculturel. Même s’il faut éviter le piège du programmatique, une société qui se vante de son vivre-ensemble doit faire la preuve d’une volonté de partage. “Un état qui gère un peuple pluriethnique devrait encourager l’interculturel. C’est autant de passerelles qu’on construit et pouvant nous mener vers un imaginaire collectif renouvelé constamment”, soutient Viken Vadeevaloo. Ce dernier ajoute qu’“il est également important de faire la différence entre la spiritualité et la religion. Entre l’expérience intérieure mystique et la pratique des cultes et des rites. Entre l’être qui s’invente dans sa spiritualité et le même être qui vit un dogme religieux au sein d’une collectivité d’individus. C’est en exploitant ces pistes qu’on esquisse l’idée d’une société mauricienne, qu’on donne une ambition à la nation”. Souvent la nation passe à côté de son identité ou elle l’occulte de peur d’avoir à faire face à des démons. “On met souvent l’accent sur le paraître”, relève Luby Ramsamy qui voit dans le dialogue interreligieux un moyen de combattre des fléaux de la société et de venir en aide aux plus démunis. “Dans l’élan vers l’autre, il y a une dynamique d’aide aux nécessiteux. On ne peut plus s’enfermer dans ses croyances reçues. Il faut qu’on arrête d’être satisfait de ce qu’on croit être. Sinon on s’enferme dans son cocon. Le dialogue interreligieux m’a donné l’envie d’aider les gens peu importe leur appartenance religieuse”, confie la jeune fille. Celle-ci ne peut s’empêcher de lancer un regard critique vis-à-vis des adultes qui se posent moins de questions. Avant les pieuses intentions, il y a des découvertes simples. Soit tous ces pratiques et rituels à côté desquels on passe avec une certaine indifférence. Et assez souvent, c’est ce qu’on appelle la tolérance. “Auparavant, je respectais mes voisins. Mais je ne les comprenais pas. Après cet atelier de travail, j’ai compris le sens de leur rituel. Surtout, j’ai compris que la foi de l’autre est noble. La foi n’est pas en définitif un obstacle aux liens d’amitié et d’amour”, confie Zia Nujurally. Viken Vadeevaloo ne peut, lui, s’empêcher de relever que les institutions religieuses auraient dû s’investir davantage dans des échanges. “C’est un moyen de se diriger vers les points convergents des textes sacrés. Un moyen de faire ressortir notre humanisme à tous”, dira-t-il. Zia Nujurally plaide pour “la liberté dans sa foi et le respect de la liberté de l’autre dans sa spiritualité”. “Le dialogue interreligieux doit être vécu comme une ascèse nationale. On est dans une logique de co-construction identitaire. Je ne peux pas être un bon Mauricien si je ne suis pas un bon musulman. Notre identité religieuse nous accomplit dans notre pleine citoyenneté républicaine. C’est de cette manière qu’on s’éloigne des sentiers battus. Tels les préjugés qui existent par rapport à l’Islam. Il ne sert à rien de parler d’extrémisme. Pour moi, l’Islam, c’est l’extrême vérité, c’est l’extrême juste. Tout le reste n’est que slogans creux”, insiste Zia Nujurally. Il est un fait que cet atelier de travail a permis à ces jeunes de se découvrir une disponibilité à connaître l’autre. “En fait, la prédisposition était là. L’ouverture d’esprit aussi. Mais sans des exercices de partage et de rencontre, on reste passif. On s’enferme dans du chacun pour soi et chacun finit par penser que sa religion est plus vraie, plus importante que celle de l’autre. Ce sont ces conceptions schématisées qu’il importe de déconstruire”, plaide Milène Tagou qui dénonce “ces gens qui se cachent derrière leurs religions pour avoir une identité”. Quelque part à travers la question religieuse, c’est le rêve d’un destin commun que caressent ces jeunes. “Nous sommes tous venus ici comme immigrants avec nos religions. Et c’est avec ces religions que nous avons bâti le mauricianisme”, rappelle Zia Nujurally.
Questions à Père Bernard Blais Père Bernard Blais, prêtre des Missions étrangères de Paris et animateur de pèlerinages bibliques, était à Maurice du 18 au 28 avril. Il a ainsi animé une conférence publique ayant pour thème “Israël : un pays, deux peuples, trois religions”. Le père Bernard Blais a exercé son ministère en paroisse et réside à Poitiers. ● En quoi consistent les pèlerinages bibliques ? C’est prendre le chemin qui nous permet de marcher sur les pas de Jésus. On y va avec ses jambes, ses pieds, ses yeux, son humanité et surtout cette volonté de revivre les passages du Nouveau Testament, d’aller les écouter sur les sites mêmes où ils ont été prononcés et les recevoir dans le contexte d’aujourd’hui. C’est une vérité implacable : quand on se déplace, on est ouvert à l’autre. On essaie d’être plus réceptif à ce qu’on voit et entend autour de soi. Enfin, on tente de communier avec cette autre réalité qui n’est pas de son quotidien. J’ai été, en ce sens, 60 fois en Israël et, en d’autres occasions, en Turquie, Grèce, Syrie… Et toujours cela a été un pèlerinage Bible en main. ● Vous allez vers des textes qui datent de deux millénaires. Comment parlent-ils à l’homme contemporain que vous êtes ? Si moi qui vis en 2007 je ne fais pas l’effort d’aller vers le texte écrit voici deux mille ans, le texte ne viendra pas vers moi. C’est à moi de faire le déplacement temporel. Il faut pouvoir se remettre dans le contexte historique pour comprendre le texte écrit plusieurs siècles de cela. Il faut que je comprenne ce qui a été écrit. Parfois c’est clair. Parfois non. ● Vous avez visité Israël abondamment. Comment dépasser le conflit israélo-palestinien ? Il faut d’abord une réelle volonté de s’en sortir. Une volonté que je ne vois pas clairement exprimée que ce soit du côté palestinien ou israélien. Plus le temps passe, plus le problème devient complexe. Je ne vois pas, à dimension humaine, la porte de sortie de ce conflit. ● Que vous inspirent des réflexions du genre que l’axe du bien doit combattre l’axe du mal ? Celui qui a dit cela n’a rien compris. En nous, il y a le bien et le mal, l’ivraie et le bon grain mélangés. Les deux sont présents. L’axe du bien et du mal sont en moi, et y compris dans le pape lui-même et tous les êtres humains. Dans ma foi de chrétien, parler de l’axe du bien et du mal, c’est m’éloigner des enseignements du Christ. Une foi, qu’elle soit juive, chrétienne ou musulmane, s’exprime différemment tout en ayant été vécue intérieurement avec plus ou moins la même intensité. Il y a un paraître en moi qui ne correspond pas à mon être profond parce que je suis pécheur. Mais il n’y a pas que cela parce que j’essaie de vivre ma foi en Christ. C’est le seul qui a connu la plénitude et la parfaite adéquation entre son être profond et le paraître. ● Le dialogue interreligieux vous interpelle-t-il ? Oui. Il s’agit de s’écouter, de se respecter et de travailler pour des valeurs qui sont communes. Le dialogue interreligieux m’a interpellé mais moins l’œcuménisme qui est le dialogue entre chrétiens. De mes préoccupations passées, présentes et à venir, c’est davantage ce dialogue qui m’interpelle.

Propos recueillis par Nazim ESOOF

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